Professions Libérales, dans la perspective du Guichet Universel de formalités des entreprises ?

Préambule

A l’occasion de la révision Rev.2.1 de la Nomenclature d’activité française, l’UNAPL et ses organisations membres sont sollicitées, dans le cadre de concertations organisées par l’INSEE et les services statistiques ministériels (CNIS Conseil National de l’Information Statistique). La révision de la nomenclature est un exercice de pure statistique qui met en lumière les difficultés des professions libérales à trouver une unité au sein de cette classification et dans sa structuration : ces dernières apparaissent dans des sections aussi diverses que le commerce de gros et de détail, les activités spécialisées, scientifiques et techniques, les activités administratives et de soutien, l’enseignement, la santé humaine et l’action sociale, les arts sports et activités récréatives.

Or, depuis la précédente révision, le secteur des professions libérales a beaucoup évolué, s’est modifié de telle sorte que les organismes de tutelle dont ils relèvent apparaissent de moins en moins aptes à comprendre et prendre en compte leurs intérêts tant économiques que moraux.

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S’étendant sur plusieurs secteurs d’activités (droit, technique et cadre de vie et santé), les professions libérales relèvent d’un statut particulier dans l’économie et dans la vie institutionnelle. Grâce à leur haute formation et leurs expertises, elles exercent une influence dans le cadre de leurs activités sur la vie de leurs clients/patients, mais également sur la production de richesse nationale et l’évolution de la société.

Leurs activités ne sont pas de simples prestations de services sur un marché de concurrence, elles participent à la consolidation des droits fondamentaux des citoyens, elles sont souvent porteuses de l’action publique (rappel du rôle des professionnels de santé pendant la crise sanitaire) et contribuent à plusieurs titres à renforcer une société de confiance.

En l’absence de chambres consulaires dans les territoires, ces particularités ont été matérialisées auprès des pouvoirs publics par des instances telles que la Délégation interministérielle des professions libérales-DIPL (1983) ou par la Commission Nationale des Professions Libérales – CNaPL (2011), ou dans une moindre mesure par la mention du secteur des professions libérales dans les périmètres de compétences des Ministres des PME-TPE successifs.

La définition des professions libérales mise en œuvre dans la loi relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives (2012), demandée entre autres par l’UNAPL suite à l’explosion démographique des entreprises de professions libérales non réglementées, qui peuvent depuis 2009 exercer sous le régime de la micro-entreprise, s’est révélée peu opérationnelle pour ce qui est de tracer un périmètre approprié des professions libérales dans leur entier. Aux côtés des entreprises de professions libérales réglementées dont la démographie reste stable (excepté pour les auxiliaires médicaux et les avocats, en croissance), se sont développées des activités libérales non réglementées et notamment de consultants et de services aux entreprises ou des activités de « bien-être ».

Pour ces dernières, l’épisode de la plateforme de rendez-vous en ligne Doctolib[1] à l’été 2022, a montré à la fois la difficulté pour les tiers, d’appliquer en pratique la définition des professions libérales et le besoin renchéri de tenir compte des spécificités ontologiques de ces activités.

D’autres difficultés récentes ont donné matière à réfléchir aux instances de l’UNAPL, qui ont, en réponse, ouvert un chantier – toujours en cours- sur l’identité libérale, conduit par D. RAYNAL, vice- président pour la famille du droit. Il s’agit notamment de la notion de « fonds libéral  » qui, reconnue par la jurisprudence (arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 7 novembre 2000), ne l’est pas encore, à ce stade, au plan législatif. C’est ainsi que le décret 2022-725 du 28 avril 2022 pris pour l’application de la loi du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante, s’il fait expressément mention du fonds artisanal, du fonds de commerce et du fonds agricole, n’évoque nulle part le fonds artisanal.

L’absence de consécration législative du fonds libéral s’est également révélée problématique à l’occasion de la discussion du projet de loi de finances pour 2022 instaurant un régime temporaire d’amortissement fiscal pour les fonds acquis jusqu’en 2025. Au cours des débats, elle a en effet été invoquée pour limiter le bénéfice de cette disposition aux seuls fonds commerciaux. Même si, au final, l’administration a, dans le cadre de sa circulaire d’application, accepté de l’étendre aux clientèles libérales, cette situation a clairement fait ressortir une anomalie.

En outre, l’étude « Quelles entreprises libérales après la crise ? » (UNAPL, IEPL 2022), montre sans ambiguïté les changements profonds qui sont à l’œuvre chez les professionnels et dans les entreprises : mutation des entreprises patrimoniales vers les modèles plus entrepreneuriaux, transformation du professionnel en chef d’entreprise libérale, tout en maintenant vivaces les fondements premiers de son exercice que sont la responsabilité du fait de ses actes, le secret professionnel et la pleine maîtrise de son Art.

Dans le même temps, elle souligne un phénomène d’atomisation du tissu entrepreneurial, au sein de certains segments comme l’architecture ou les cabinets d’avocats, sous l’effet, d’une part, d’une recherche de minimisation de la masse salariale par les entreprises employeuses et, d’autre part, d’une volonté de maximisation de la qualité de vie au travail chez les cadres qui alimente, l’expansion du secteur technique et cadre de vie (95,8% des activités d’enseignement sont créées sous le régime de l’auto entreprise, cf. Les travailleurs indépendants et leur protection sociale en chiffres, édition 2021, Acoss-URSSAF).

Cette évolution, qualifiée parfois de néolibéralisme, est en fait une recherche de simplicité en matières sociale et fiscale, mais aussi en matière de liberté et de qualité de vie (cf. rapport susvisé, pages 35-37 et la notion de non-employeur ou de solo-inconditionnel).

Sans parler de changement de paradigme, les réactions des professionnels libéraux interrogés se déclarent satisfaits du rôle des syndicats pour toutes les aides liées au COVID, ce qui conforte la notion de syndicalisme de service développée notamment au travers des associations telles que l’ARAPL ou l’ORIFFPL et les Maisons des professions libérales.

Enfin, dernière en date, la mise en œuvre du Guichet unique électronique obligatoire, de formalités relatives à la création, modification ou cessation d’une activité libérale et pour lesquelles l’UNAPL a identifié trois grands types de risques :

  • des risques de blocage dans le parcours de déclaration de création d’activité ;
  • des risques d’erreurs dans les déclarations ;
  • et, dans un certain nombre de cas, des risques d’abandon du projet de création.

C’est pourquoi, l’UNAPL demande de mettre en place un accompagnement et une validation à la disposition de ses ressortissants et rappelle, s’il en est le besoin, la nécessité d’organiser le secteur des professions libérales dans toutes ses variétés d’installations et de métiers.

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Une instance de concertation, sous la tutelle du Ministre déléguée auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, chargée des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme, instance représentative aux pouvoirs renforcés, dans laquelle toutes les sensibilités du monde libéral seraient représentées semble nécessaire, de même qu’un maillage du territoire (à l’instar des chambres consulaires) et la création de lieux uniques de réception.

C’est peut-être la dernière chance de pérenniser l’identité des professions libérales ainsi que son périmètre face à l’explosion démographique des nouveaux métiers et à la nécessité de maitriser leur évolution par un contrôle concerté de la liste des professions libérales.[2]

Lundi 16 Janvier 2023,

Elise NGUYEN                                                                          Bernard DELRAN

Liste des principaux documents consultés :

  • Travaux de la Commission de Concertation des Professions Libérales ;
  • Colloque à l’Université d’Angers « Retour sur la définition des professions libérales », 22 mars 2012 ;
  • « Quelles entreprises libérales après la Crise ?, (UNAPL, IEPL 2022), Séminaire de l’UNAPL, les journées des professions libérales, Deauville, 15 et 16 septembre 2022 ;
  • Liste des codes NAF rattachés au FIF PL (nouvelle nomenclature prenant effet au 1er janvier 2008), courrier adressé au Président de l’UNAPL, 15 décembre 2022 ;
  • Document interne UNAPL « Vers le Guichet Unique des formalités d’entreprise », Bureau National, 8 décembre 2022

[1] Après une consultation avec les autorités et les ordres professionnels, la start-up, leader de la prise de rendez-vous médicaux en France, a décidé d’exclure de ses services 5 700 praticiens n’ayant pas de certification officielle, les tenants de pratiques de « bien-être ». Plus concrètement, les praticiens d’activités comme la naturopathie, le coaching en développement personnel, ou plus ésotériques, comme les magnétiseurs ou les médiums, ont été exclus des services de l’entreprise.

[2] Le CNIC (RSI) était chargé de cette liste des indépendants. Plus de 500 métiers professions libérales étaient répertoriés. Au contraire des artisans, qui disposent d’un répertoire des métiers et des chambres de l’artisanat, et donc d’une Nomenclature des activités françaises de l’artisanat – NAFA-, les professions libérales n’ont pas de sous catégories (même si on l’envisage de façon ponctuelle lors des discussions engagées actuellement avec le CNIS-INSEE Sirène pour la révision de la NAF) ce qui permettrait de lister toutes les catégories de PL comme l’a fait le FIFPL. Cela est d’autant plus important qu’en 2021, 302 981 entreprises libérales sont créées renforcées par l’apparition de nouveaux métiers, en croissance chaque année.